Françoise Grange
artiste plasticienne

Il avait une douceur infinie dans les yeux
Et aussi une chaleur dans la voix
Et quand sa main prit la mienne
Je quittai le trottoir de la grande ville sale et bruyante
Pour vivre dans sa maison aux rideaux dorés
Et alors j’ai commencé à l’aimer
Jusqu’au jour où un homme au profil d’oiseau
Est venu dans sa maison, dans ma maison
L’homme a plongé ses yeux de rapace dans les miens
Et a mis ma chair à nu
D’un seul regard, sans un geste ni un mot
Puis il a laissé une liasse de billets sur la table
Et m’a emmenée dans une autre grande ville
Où personne ne parlait ma langue
M’a jetée dans une chambre sans rideaux
Dans la crasse et la pourriture
La couche sentait la sueur des hommes
Ceux qui me touchaient, me palpaient, me battaient
En m’appelant « poupée »
Et crachaient
Je fermais les yeux
Emprisonnant la lumière rouge et clignotante
Des néons du bar
Poupée
Trainée
Poupée
Trainée.